Archives LVE. 1963, L’état reprend ses terres


Annoncée par un communiqué du ministère de l’Agriculture en date du 5 septembre, la prise de possession de la première tranche des terres de lots de colonisation vient de commencer, avant le début de la campagne agricole. Un arrêté conjoint du ministre de l’Intérieur, du ministre de l’Agriculture et du ministre des Finances comporte une liste d’immeubles dont la propriété est transférée à l’État à partir du 1er octobre. Il s’agit de terres de colonisation situées dans la province de Beni-Mellal, dans le polygone betteravier du Rharb, dépendant de l’ONI, et dans les zones d’intervention de l’Office national de la modernisation rurale, dans la province de Rabat. Cette première tranche représente environ 45.000 ha.

Les opérations de prises de possession par les «Commissions de récupération ont commencé effectivement le 1er octobre dans ces régions. Ces commissions sont accompagnées chacune d’un observateur de l’ambassade de France.
On sait que les lots faisant partie de cette première tranche avaient été recensés depuis le 9 septembre par des commissions itinérantes composées d’agents des offices de mise en valeur, un inventaire contradictoire devant avoir lieu lors de la prise de possession, en présence des intéressés, des autorités locales et des représentants du ministère de l’Agriculture et du Service des Domaines.
Le gouvernement français a protesté auprès du gouvernement marocain à la suite de la nationalisation des terres de colonisation. Cette protestation a été remise par M. Pierre de Leusse, ambassadeur de France à Rabat, à M. Abdallah Chorfi, secrétaire général des Affaires étrangères, en l’absence de M. Balafrej, actuellement à l’ONU.

Elle rappelle qu’aucune réponse n’a été faite par le gouvernement marocain aux deux précédentes protestations présentées par Paris et souligne que le dahir du 26 septembre fixant les conditions de la reprise par l’État des lots de colonisation ne comporte aucune indication en ce qui concerne les indemnisations.
Les observateurs pensaient généralement que le voyage de M. Pinay n’était pas sans rapport avec ce sujet et d’ailleurs l’ancien président du Conseil n’avait pas caché lors de ses rencontres avec les personnalités françaises du Maroc qu’il s’en était entretenu avec les plus hautes Autorités du Royaume.

Mais M. Pinay, rappelé brusquement à Paris par le décès de son gendre, M. Epstein, est parti sans donner davantage de précisions.
On ignore donc à l’heure actuelle dans quelles conditions et selon quelles modalités s’effectueront ces indemnisations. On souhaite que cette équivoque soit rapidement dissipée, parce qu’elle crée un climat d’incertitude et de tension préjudiciable à l’intérêt général.

De même, deux points importants liés à celui-là retiennent spécialement l’attention :
– quelle est la situation des créanciers des agriculteurs exploitant des lots de colonisation? En principe, leur droit reste intact, mais si l’on prend l’exemple d’une fourniture ou d’un prêt financier correspondant à une culture en cours, ou à des équipements dont l’amortissement reste à couvrir sur plusieurs années, il est bien évident que le règlement peut rester en suspens tant que la question de l’indemnisation n’a pas été clairement définie.
– d’autre part, l’article 8 du dahir indique que « sont résiliés d’office tous baux relatifs aux exploitations ayant fait l’objet d’une prise de possession par l’État ». C’est-à-dire qu’à partir du moment de la prise de possession, par exemple, le personnel d’exploitation n’est plus lié par contrat avec l’ancien exploitant. Dans ces conditions, deux hypothèses sont envisageables : ou bien ce personnel quitte l’exploitation, ou bien, ce qui est le cas le plus souvent, il se voit proposer par les Offices de rester en place. Mais, en attendant que son statut soit précisé par un nouveau contrat, il reste dans une situation flottante. Il est préférable qu’elle ne se prolonge pas.

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